Directrice générale de l’Académie des Arts et des Sciences du Cinéma, Dawn Hudson dirige l‘ensemble des actions de l’Académie, de l’éducation à l’image à la préservation des films en passant par la promotion du cinéma. Depuis son arrivée en 2011, elle a piloté d’importantes initiatives en matière de diversité, d’inclusion et de représentation. Cheffe d’orchestre des prestigieux Oscars, Dawn Hudson supervise également l’ouverture prochaine du Musée du Cinéma, The Academy Museum of Motion Pictures.
L’Académie des Oscars, fondée en 1927, compte aujourd’hui plus de 9 900 membres. Quels sont les principaux défis qu’elle devra relever pour rester visionnaire et ancrée dans son époque ?
L’Académie existe depuis près d’un siècle – nous sommes jeunes, comparés aux institutions françaises ! – et ce passé est une richesse parce que nous avons su évoluer et nous adapter au fil des décennies, comme l’a fait le cinéma. Les membres de l’Académie ne représentent plus uniquement Hollywood mais l’ensemble du paysage cinématographique. C’est notre force, mais aussi un défi, car cela suppose de tisser des liens, de rester à la pointe de la technologie, de militer pour davantage de diversité dans notre secteur, et de créer une rencontre entre les films et les spectateurs du monde entier. Sans oublier que nous avons concrétisé un rêve de longue date en ouvrant un musée du cinéma, une étape majeure dans notre développement à venir.
Annoncés en septembre 2020, les nouveaux critères de diversité des Oscars, qui visent à représenter l’Amérique dans son ensemble, prendront effet en 2024. Attendez-vous de l’industrie hollywoodienne qu’elle opère des changements majeurs en termes d’écriture, de casting, de production, de réalisation et de distribution afin de satisfaire à ces exigences ?
Même si les revendications sociales et politiques qui ont marqué l’année 2020 étaient une réaction au racisme dans notre pays, les problématiques d’exclusion et de discrimination ne se limitent pas aux États-Unis, ni aux films nord-américains. Nos collègues du British Film Institute et de la British Academy of Film and Television Arts (BAFTA) se sont également penchés sur ces questions et nous ont aidé à définir les nouveaux critères d’éligibilité pour l’Oscar du meilleur film. Ces critères illustrent l’effort collectif de toute l’industrie – studios, indépendants, plateformes, guildes, syndicats – pour démocratiser l’accès à tous les maillons de la chaîne, de la réalisation à la diffusion. Car nous appelons de nos vœux des changements profonds, qui s’opèrent d’ailleurs dès à présent : les festivals internationaux et les premières cérémonies de 2021 distinguent de plus en plus de réalisatrices et productrices, et des œuvres et des auteurs toujours plus divers. Il faut poursuivre sur cette lancée et adopter ces changements dans le monde entier afin que le cinéma ne perde rien de sa pertinence.
Tandis que la majorité des salles de cinéma resteront fermées aux États-Unis en 2021, les Oscars prendront en compte, pour la première fois de leur histoire, des films diffusés uniquement sur les plateformes. Pensez-vous que cela aura un impact sur l’audience internationale des films et de la cérémonie?
Pour la plupart d’entre nous, le cinéma a joué un rôle encore plus grand l’an passé. Il nous a divertis, il nous a donné le sentiment d’appartenir à une grande communauté, il a traduit nos peurs et nos espoirs tout au long de ces mois effroyables, et il nous a aidés à aller de l’avant. Au vu des audiences record enregistrées par les films pendant la pandémie, nous pensons que la cérémonie de cette année sera très suivie dans le monde entier. Nous avons tous été contraints de modifier nos habitudes, et l’Académie ne fait pas exception à la règle. Elle a donc procédé à des ajustements, car il nous a semblé injuste de pénaliser des cinéastes alors que la situation est indépendante de leur volonté. La bonne nouvelle, c’est que tout le monde regarde des films ! Nous avons également la chance de travailler avec trois producteurs très innovants qui ont prévu de rendre un hommage inédit au 7e art. Hommage d’autant plus mérité que le cinéma a été, pour tous les cinéphiles, une source de réconfort et de soutien en cette période difficile.
Le musée de l’Académie, dont l’ouverture est reportée à l’automne, sera le monument le plus ambitieux jamais réalisé sur l'histoire et l’influence du cinéma mondial. Comment reflètera-t-il le 7e art dans toute sa diversité ?
Nous souhaitons, à travers ce musée, montrer toute la richesse de l’histoire du cinéma, sans pour autant esquiver les débats. Dans notre galerie “Impact/Réflexion”, nous proposerons une “histoire récente” qui traitera de sujets difficiles tels que le manque de représentation féminine ou l’accueil réservé à Hattie McDaniel (l’interprète de Mammy dans Autant en emporte le vent, Ndt) lors de la cérémonie de 1940. La direction du musée travaille en étroite collaboration avec un comité consultatif sur l’inclusion, et avec des représentants de chacun des 17 départements de l’Académie des Oscars, afin de proposer aux visiteurs la quintessence du cinéma et une histoire du 7e art plus honnête et plus exhaustive.
Dans un contexte où le télétravail se généralise, pensez-vous qu’Hollywood restera une plaque tournante de l’industrie mondiale du cinéma, ou que nous assisterons à l’émergence de nouveaux foyers de création, aux États-Unis et à l’étranger, qui réduiront de fait les restrictions géographiques ?
L’industrie du cinéma est déjà mondiale. On produit des films aux quatre coins du globe. L’an dernier, le long-métrage sud-coréen Parasite a remporté à la fois l’Oscar du meilleur film international et celui du meilleur film. Cette année, nous avons un nombre record de candidatures pour l’Oscar du meilleur film international. Je pense que cela reflète le monde dans lequel nous vivons et je m’en réjouis
Propos recueillis par Lucie Carette, attachée audiovisuelle, directrice du Bureau des Industries Culturelles et Créatives de Los Angeles, Ambassade de France aux Etats-Unis
Twitter: @luciecarette
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En tant que directrice générale de l’Académie des Arts et des Sciences du Cinéma, Dawn Hudson est responsable du personnel et du rayonnement de l’institution, dont elle supervise le bon fonctionnement. Elle gère par ailleurs la fondation de l’Académie, qui propose des initiatives pédagogiques, des bourses d’études et des subventions, finance la bibliothèque Margaret Herrick et accueille les archives cinématographiques de l’Académie. Elle a également joué un rôle crucial dans la création du musée des Oscars (The Academy Museum of Motion Pictures), dont elle est membre du conseil d’administration. Depuis qu’elle a rejoint l’Académie en 2011, elle a piloté d’importantes initiatives en matière de diversité, d’inclusion et de représentation au sein du personnel comme des adhérents, permettant ainsi à l’institution d’atteindre l’objectif, de doubler le nombre de femmes et de personnes d’origines et d’ethnies diversifiées d’ici 2020. Sous son égide, les Oscars rassemblent désormais une large communauté internationale d’artistes et de cinéastes originaires de 68 pays. Suite à ce succès, l’Académie a annoncé il y a peu le projet “Aperture 2025”, une initiative en plusieurs étapes visant à instaurer encore davantage de diversité et d’inclusion dans tous les secteurs de l’industrie cinématographique, et à offrir de meilleures opportunités à de jeunes cinéastes issus de communautés sous-représentées. Avant de rejoindre l’Académie, Dawn Hudson a été pendant vingt ans la directrice déléguée de Film Independent, qu’elle a contribué à bâtir. Sous sa houlette, cette organisation à but non-lucratif a créé des programmes de subvention dédiés aux cinéastes indépendants et développé la cérémonie annuelle des Spirit Awards. Elle était auparavant rédactrice en chef du St. Louis Magazine. Titulaire d’une licence obtenue à Harvard, elle a réalisé des travaux universitaires à l’Institut d’études politiques de Grenoble et à l’Université Washington, à St. Louis, dans le Missouri.
Traduction: Fast ForWord - Illustration: Force Majeure