Ouvert en 2016 dans le sud de Manhattan, le Metrograph est vite devenu l’un des hauts lieux de la cinéphilie à New York. Alors que la crise sanitaire obligeait toutes les salles à fermer, son directeur Jake Perlin a pris la décision de lancer sa propre plateforme, Metrograph Digital, avec des projections live accompagnées par des critiques et des réalisateurs.
Le Metrograph est bien plus qu’une salle de cinéma. Parlez-nous de vos activités et des principes qui guident votre programmation.
La première mission du Metrograph a toujours été de présenter des films en salle et de susciter l’engouement des spectateurs pour la culture cinématographique. Bien entendu, les choses sont fondamentalement différentes aujourd’hui, du fait de la fermeture des salles new-yorkaises depuis le mois de mars 2020. Nous sommes tous nostalgiques des séances de cinéma, quand la lumière s’éteint et que le film commence, et nous serons très heureux d’y retourner, mais la passion des gens pour le 7e art n’a pas diminué. Nous avons donc déplacé notre programmation sur Internet – où de nombreux réalisateurs, scénaristes et programmateurs continuent à présenter nos films – et poursuivons nos activités avec Metrograph Pictures, notre filiale de distribution. Après une version restaurée de Goodbye, Dragon Inn de Tsai Ming-liang, nous sortirons bientôt celles du Franc et de La Petite Vendeuse de soleil de Djibril Diop Mambety, de L’Intrus de Claire Denis, et une nouveauté, Sisters with Transistors de Lisa Rovner.
Nous proposons aussi des cartes blanches à différents invités. En ce moment, par exemple, Nan Goldin choisit et présente les films qu’elle aime, et Melissa Lyde, une jeune programmatrice talentueuse, intervient une fois par mois. Cela permet au public de retrouver des visages familiers, et de poursuivre le débat de film en film. Nous publions par ailleurs des articles exclusifs et mettons en ligne les nombreux entretiens que nous réalisons avec des cinéastes. Les internautes peuvent par exemple visionner celui de Frederick Wiseman, dans le cadre de la rétrospective que nous lui avons consacrée récemment sur notre plateforme.
Vous distribuez des films étrangers, et notamment beaucoup de films français. Que pensez-vous de notre cinéma et de la place qu’il occupe aux États-Unis ?
Metrograph Pictures propose beaucoup de films français, qu’il s’agisse des classiques d’Éric Rohmer (nous allons bientôt ressortir La Femme de l’aviateur et L’Ami de mon amie) ou de ce que nous qualifions de “nouveaux” classiques, comme Le Concours de Claire Simon. Nous avons aussi sorti récemment une collection des films de Mario Ruspoli en Blu-ray, sous-titrés en anglais pour la première fois. Le cinéma français et francophone est une source inépuisable de merveilles du 7e art. Ce qui me réjouit le plus, c’est que notre public est friand de nouvelles découvertes. Par conséquent, même s’il apprécie toujours les films de Jean Cocteau, il s’intéresse aussi à ceux de Gérard Blain, Mia Hansen-Løve, Mati Diop ou Alain Tanner.
Vous avez lancé Metrograph Digital en juillet 2020. En quoi cela se distingue des autres plateformes indépendantes qui ont fait leur apparition pendant la pandémie ?
Nous avons décidé de ne pas proposer des centaines de films d’un coup mais d'échelonner la programmation des oeuvres, comme nous le ferions en salle, afin de faire de ce site un véritable cinéma virtuel plutôt qu’une simple plateforme. Comme nous le faisions au Metrograph, nous changeons les films au bout de quelque temps. Certains restent à l’affiche trois jours, d’autres, deux semaines. Cette alternance s’apparente à celle que nous avions mise en place dans nos deux salles.
Sur quel modèle économique avez-vous construit cet ambitieux projet ?
Les œuvres sont principalement disponibles en SVOD, afin de développer notre base d’abonnés au site metrograph.com (nous proposons des formules mensuelle et annuelle) mais aussi à notre cinéma, quand il rouvrira. Même si nos salles sont actuellement fermées, nos séances virtuelles et physiques seront, à terme, complémentaires. Nous voulons que le public qui ne vit pas à New York et ne peut donc se rendre dans notre cinéma se sente néanmoins membre de la communauté Metrograph.
Comment envisagez-vous l’avenir des salles indépendantes après la crise ?
Ce que je sais, c’est que beaucoup de personnes seront au rendez-vous dès la réouverture des cinémas, et que d’autres mettront un peu plus de temps à se sentir de nouveau en confiance. Aujourd’hui encore, je discutais avec mes collègues de certains films, et du fait qu’ils étaient encore plus remarquables et lumineux quand on les voit en salle. Les visionnages à la maison, qui se sont généralisés ces douze derniers mois, sont appelés à perdurer, et nous sommes ravis de poursuivre notre programmation sur Metrograph.com, mais cela ne remplacera jamais l’expérience de la salle. Je suis convaincu que les spectateurs sont impatients de retrouver leurs cinémas indépendants préférés.
Propos recueillis par Valérie Mouroux, attachée audiovisuelle, directrice du Département Cinéma, TV et Nouveaux Médias (New York)
Twitter : @VMouroux
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Jake Perlin est le directeur artistique et le directeur de la programmation du Metrograph, à New York. Il a été pendant huit ans le programmateur adjoint de BAMcinematek et programmateur associé de la Film Society du Lincoln Center. Il est le fondateur de The Film Desk, qui a présenté des copies neuves 35 mm de nombreux films, dont beaucoup n’étaient jamais sortis dans les salles nord-américaines. Film Desk Books a publié deux volumes de textes inédits de Lillian Ross sur John Huston et François Truffaut, ainsi que la première traduction anglaise des “Dialogues” entre Marguerite Duras et Jean-Luc Godard. Coproducteur de certains films de Matías Piñiero, Laurie Anderson, Tony Stone et Zia Anger, Jake Perlin est chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. Son travail de programmation lui a valu deux prix Heritage, décernés par la National Society of Film Critics.
Traduction: Fast ForWord - Illustration: Force Majeure